Russie vs Turquie en Syrie 1-1
Laurent Vinatier | Ce qui devait arriver est arrivé. Les défenses anti-aériennes de Turquie ont abattu la semaine passée un avion bombardier russe qui empiétait à quelques kilomètres d’altitude sur sa souveraineté. On a dit qu’il traversait rapidement; certains commentateurs affirment qu’il n’est pas resté plus d’une minute ou plus exactement qu’il ne serait pas resté plus d’une minute s’il n’avait pas été abattu. La Russie réagit évidemment (elle ne pouvait pas ne pas réagir) et prend des sanctions contre la Turquie, économiques et légales: il devient impossible pour des compagnies russes d’employer des Turcs; l’importation de certaines marchandises est interdite et les visas sont rétablis. Rien d’extraordinaire à vrai dire. C’est un moindre mal et les Turcs au fond s’en sortent bien.
Il n’en reste pas moins que c’est là un fâcheux incident qui place le curseur de l’escalade militaire, précédemment identifiée dans cette colonne, un cran plus haut. Mais encore sous contrôle. La décision turque est calculée, naturellement. A Ankara, on a anticipé que Moscou ne devait pas répondre trop durement ou violemment, sous peine de briser le délicat exercice diplomatique devant conduire à la mise en place d’une grande coalition internationale contre les «terroristes» de l’Etat islamique. Disons que le timing, après les attentats de Paris, va dans le sens turc. En effet, Moscou n’ira pas plus loin, enterrant l’affaire au plus vite pour se consacrer à son retour en grâce sur la scène internationale aux côtés des Français et des Anglais. Rien n’assure cependant qu’il n’y ait pas d’autres incidents de ce type.
Il semble qu’à la différence des Etats-Unis, la Turquie ne parvient pas vraiment à mettre en place une coordination militaire efficace avec la Russie quant à leurs interventions syriennes respectives. C’est que leurs intérêts intrinsèques divergent considérablement. Les bombardements russes, en soutien de Bashar al-Assad, contre l’ensemble des groupes islamistes sunnites, favorisent les Kurdes de Syrie et de Turquie. On ne peut exclure que quelque part dans un tiroir du Kremlin il n’y ait pas un plan de création d’un Etat kurde empiétant sur la souveraineté turque actuelle. Il est même possible d’ailleurs qu’un plan similaire existe à Washington. Vu d’Ankara par conséquent, la coalition internationale anti-Etat islamique pourrait très bien accélérer l’apparition d’un Kurdistan sur l’espace «syro-turc». Les Turcs se trouvent donc entre deux mauvaises alternatives: les Kurdes indépendants ou l’Etat islamique. Et leur priorité n’est pas la lutte contre l’islamisme…