Pêcheur, un métier qui se perd
Christian Dick | L’ouverture officielle de la pêche débute le 15 janvier et se terminera le 15 octobre. Les périodes de frai sont interdites de pêche. Elles durent du 1er au 25 mai pour les perches et du 1er au 15 avril pour les brochets. Peu de bateaux de pêche ont été observés sur le lac ce jour de l’ouverture, pourtant tant attendu. Le temps ne jouait d’ailleurs pas en faveur d’une sortie sur le lac.
La pêche a d’ailleurs été mauvaise. L’an dernier, les prises de perches, notre poisson préféré, ont été faibles. Dès lors peut-on dire que le poisson s’est raréfié ? Probablement pas. L’évolution sous la surface des eaux n’est pas observable, comme elle le serait sur des espèces animales vivant au sol. Peut-être la perche s’est-elle déplacée dans des eaux plus profondes ? Les problèmes rencontrés à Cully se retrouvent d’ailleurs sur les différents plans d’eau du lac. S’agit-il alors de cycles comme on en voit en météorologie ? Le promeneur attentif relèvera aussi que les abords du lac sont moins peuplés des vengerons qu’on observait autrefois n’importe où facilement.
Les meilleures prises ne sont d’ailleurs plus les perches. Depuis cinq ou six ans, la féra les a allègrement dépassées, suivie du brochet pourtant difficile à apprêter. Ses arêtes en «y» en découragent plus d’un. Pourtant, le brochet est une bonne prise en hiver. On peut le ramener vivant et le laisser jusqu’à deux ou trois semaines dans l’eau froide d’un vivier. Les ombles comme les truites sont pêchées en petites quantités.
La pratique de la pêche est soumise à une réglementation assez stricte. L’examen d’abord, puis la période de pêche, la taille des prises, les emplacements interdits et les zones de pêche, l’obligation de relever les engins, les types et les engins de pêche, la signalisation des filets, des nasses jusque sur les embarcations, les périodes de protection, le nombre maximum de captures, les différents types d’appâts, les heures de pêche, la tenue de statistiques, le repeuplement, tout y est et ça n’est pas rien.
Cependant, durant la période de frai, une autorisation exceptionnelle de pêche peut tomber, permettant au pêcheur de prélever les œufs de féras, de les élever en pisciculture après fécondation puis de les remettre au garde-pêche pour l’élevage. Ils repeupleront ensuite le lac pour les pêches futures.
On peut aussi observer une autre évolution. La féra ne se nourrissait que de plancton et l’omble chevalier de gammarus, un petit crustacé ressemblant à une écrevisse. Les poissons, aujourd’hui, ont tous plus ou moins une tendance à se manger entre eux.
Les pêcheurs professionnels utilisent principalement les filets ou des nasses. Les pêcheurs amateurs, sur le lac et pourvus d’un canot à moteur, tirent volontiers des filets tendus par des écarteurs munis de fanions. Ils sont porteurs d’une boule blanche pour les amateurs ou jaune pour les professionnels, au bout d’un mât annonçant leur priorité aux autres usagers du lac, officiels, CGN et Sagrave non compris. Ils ramassent essentiellement l’omble et la truite.
Cette année, le Règlement d’application concernant la pêche dans le lac Léman plafonne à 92 le nombre d’autorisations de pêche professionnelle pour la Suisse et à 60 pour la France. On compte effectivement 91 pêcheurs côté suisse et 64 sur la côte française.
Dans notre district, le village de Cully ne compte qu’un seul pêcheur, alors qu’ils étaient quatre deux générations précédentes. Leur nombre s’élevait à dix à Ouchy qui n’en compte également plus qu’un seul. Pêcheur professionnel établi à Cully depuis quelques décennies, Pierre-Alain Monbaron se souvient avoir débuté le métier à l’âge de 14 ans avec son père. La relève aujourd’hui s’avère plus problématique. La pêche est bien un métier magnifique pratiqué dans un cadre idyllique. Mais comme dans les métiers manuels, l’engouement fait un peu défaut. Ça reste un métier rude. Parallèlement, ils sont 9000 pêcheurs amateurs suisses à exercer leur talent ou à perdre leur temps le long des rives lémaniques, ou sur un canot. Ces derniers se regroupent d’ailleurs volontiers dans des amicales, des groupements régionaux ou dans les sections locales de la FIPAL, la Fédération des pêcheurs amateurs du lac Léman.
Et comment se passe la cohabitation? Sur le lac plutôt bien, relève le pêcheur culliéran. Mais l’étendue est vaste et les eaux profondes. Dans le Petit-lac, en revanche, la faible profondeur des eaux et l’exiguïté de l’espace provoquent parfois des situations moins familières. On peut rencontrer quelques problèmes avec les pêcheurs à la ligne disposés le long des rives, notamment à proximité des ports et des promenades ou sur les débarcadères. Il convient de rappeler ici que la pêche au lancer est interdite à l’entrée des ports, de même sur les quais et les débarcadères publics. Certains ne comprendront d’ailleurs pas ces lignes comme ils n’ont pas compris qu’une ligne lancée au loin gêne le pêcheur professionnel comme le plaisancier sur son voilier qui entre ou sort de son port d’attache.
Revenons à nos moutons, ni blancs ni noirs, la pêche. Notre ami pêcheur se rappelle une époque où la quantité de prises atteignait le double, un temps où le professionnel exerçait aussi souvent deux métiers, comme pêcheur-vigneron, ou pêcheur-paysan. Actuellement, la formation prévoit un accompagnement de six mois chez un pêcheur professionnel, suivi d’un examen. Malheureusement, les places font ensuite défaut alors que l’Etat exerce un contrôle sur le marché.
Une réglementation, apparue en 1985, précise que le revenu du pêcheur doit au minimum atteindre 75% de son revenu total. Dès lors, une autre activité devient difficile à gérer. 1985 est une date dont se souvient bien le pêcheur culliéran. Auparavant, durant la période de frai, on pouvait observer sur les nasses quantité d’œufs de perches et anticiper les années à venir. C’était en mai, la vendange du pêcheur. Le nouveau règlement d’application a prohibé les nasses durant le frai et établi les périodes d’interdiction de pêche durant lesdites périodes. Dans ses souvenirs, Pierre-Alain Monbaron se souvient d’une époque où la pêche était autorisée durant ce laps de temps. Curieusement, il ne pêchait que des mâles. Les femelles se séparaient-elles du groupe?
Aujourd’hui où la pêche à la perche s’est raréfiée, le pêcheur culliéran fournit tout de même un restaurant, le Raisin. Son magasin «Pêcherie Lavaux» à Cully, que tient son épouse Clémentine, fournit sa clientèle.
A Cully comme ailleurs dans les ports, de joyeux pêcheurs amateurs se rencontrent volontiers entre eux, à l’abri des curieux dans un local qui leur est propre, et où la prise se résume aussi, à une heure buvable, au geste traditionnel du coude, à la pêche au court trajet du frigo à la table. La cohabitation y est alors parfaite.