Paroles de Grecs!
Laurent Vinatier | Cassandre l’aurait annoncé mais personne ne l’aurait cru. Contrairement à la Guerre de Troie cependant, cela ne fait pas ici, en Grèce même, une grande différence: la surprise était attendue. Les instituts de sondage prédisaient la victoire de Syriza, le parti de gauche anti-austérité, avec un maximum de 6 à 7 points d’avance sur son principal concurrent. Il en a 10 et devrait envoyer environ 150 députés au Parlement, soit la majorité absolue des sièges. Malgré de louables efforts et une croissance qui repart, certes doucement mais quand même, le Premier ministre sortant Antonis Samaras ne parvient plus à convaincre. C’est souvent le cas d’ailleurs: dès qu’un pays retrouve un certain entrain, le peuple en profite pour manifester son mécontentement et changer de voie politique. Bien en peine, cela dit, celui qui aujourd’hui pourrait prédire si la Grèce s’apprête ou non à sortir de l’Euro, à faire banqueroute ou les deux.
En réalité, ce n’est pas tellement le problème; et Cassandre, sans doute, n’aurait rien à dire sur le sujet. L’Europe, la Grèce s’en remettront de vivre ensemble et sombrer ou de s’abandonner mutuellement et s’ombrer (ou pas ou l’inverse). L’inquiétude, ou disons la question la plus pertinente, tient plutôt à la démocratie. On l’avait pressenti à plusieurs reprises, par le passé, dans des contextes très différents mais il semble que le principe même de la démocratie est de porter au pouvoir ceux que le peuple dans sa majorité choisit… quels qu’ils soient, y compris des populistes. Habituellement la majorité choisit plutôt raisonnablement mais enfin, nul ne peut s’attendre à ce qu’en période d’interrogations intenses ou de crise, des mouvances plus radicales progressent et l’emportent. Il s’agit donc de savoir comment assumer la démocratie et répondre au dilemme que Platon – ou était-ce Aristote? – enfin un (autre) Grec avait posé il y a deux millénaires et des poussières plus tôt: comment éviter que la démocratie ne se dévoie en démagogie?
Peu d’entre nous ont sans doute la solution. Peu parmi nous en cherche une, en fait. Y en a-t-il une, vraiment ? Bref ! La Grèce, en tout cas, encore une fois, montre la voie qui se dessine ailleurs en Europe et que l’on désigne sous le terme médiatique de montée des extrêmes et des nationalismes. Par la démocratie en effet, ceux qui sont contre l’Europe, ceux qui veulent la quitter, ceux qui veulent se protéger de la globalisation, ceux qui rejettent l’ouverture des frontières et les échanges transnationaux, peuvent et vont se faire entendre et même se faire élire. Les Suisses connaissent un peu la question, après de récentes votations significatives. L’Europe démocratique risque donc d’être populiste. Si elle ne se décompose pas, car on peut supposer que ces nouveaux leaders nationaux peuvent faire preuve d’un sens objectif des réalités, l’Europe elle-même devrait se replier sur elle-même et se couper du monde – devenir une grande Grèce ou une grande Suisse (dans le meilleur des cas).