Mauvaises nuits place de la République
Laurent Vinatier | Ce week-end, à Paris sur la place de la République, «Nuit debout» a dérapé. Mais un peu seulement: une voiture de police a été incendiée et deux autres véhicules ont été endommagés. Rien de très grave en vérité. Mettons ces petits événements sur le compte de la fatigue accumulée depuis le 31 mars lorsque ceux qui se sont rassemblés pour protester contre la réforme du Code de travail ont décidé de rester unis – Dieu sait pourquoi. A la Préfecture de Police, on prétend plutôt que ces violences sont le fait d’une consommation invétérée d’alcool, désormais interdite le samedi et le dimanche. Maligne décision à vrai dire, dans la mesure où on peut considérer que faute d’idées suffisantes, les participants se réfugient dans la boisson et la friture pour oublier, ce qui n’est déjà pas évident.
On dira que la critique est facile et il est vrai qu’il est difficile de ne pas passer pour «un vieux con» quand il s’agit d’écrire sur ce formidable phénomène. A la décharge des auteurs (dont votre serviteur) tentés par l’ironie dans un billet, il faut reconnaître que nos jeunes amis de Nuit debout, ainsi que l’ensemble des paumés, plus âgés peut-être, des chômeurs, des marginaux et des clochards qui les accompagnent, ne font guère beaucoup d’efforts de crédibilité. Leurs actions sont éloquentes et vont bien au-delà des violences alcoolisées du week-end (lesquelles sont pardonnables). Dans le désordre on peut citer ainsi l’agression du philosophe et écrivain Alain Finkielkraut et de tout ce qui ressemble à un politicien, les perturbations de conférences ou le blocage d’un gala de Sciences Po (au nom de la lutte contre la reproduction des élites); à la limite cette dernière action pourrait être légitime, sauf que cette initiative vient d’étudiants des universités voisines, publiques, sans aucune perspective, qui tendent à penser qu’ils ne sont pas responsables de leur situation.
On ne peut guère distinguer entre naïveté, idéalisme simplificateur et absence d’esprit critique, à la base des motivations de ces manifestants approximatifs. On distingue très bien en revanche, les tonalités autoritaires ou du moins pour l’instant restrictives qui les animent et qui engendrent ces multiples atteintes aux libertés publiques: à la liberté d’expression par exemple (dans le cas d’Alain Finkielkraut) ainsi qu’aux libertés de réunion (pour les conférences interrompues) et de mouvement (pour le gala de Sciences PO). Ces individus, peut-être idéalistes, s’érigent en gardien de ce qui est bon et bien; ils veulent interdire le reste: ce qu’ils pensent n’être ni bon ni bien. Mais ils le font, hélas, au nom même de la liberté, ne serait-ce que celle de protester. C’est là précisément le danger; car à ces tendances autoritaires viendront répondre d’autres expressions radicalisées, celles de la majorité silencieuse qui voit ces jeunes étudiants ne pas dormir, lorsque la plupart des Français doivent se lever pour travailler. La réaction sera électoralement dure, comme elle le fut en 1968 quand le Général de Gaulle vieillissant remporta haut la main les législatives. Les Nuits debout mettront à genoux la France et ouvriront les portes d’une nouvelle ère ultraconservatrice… mais au-delà de la formule facile, il est probable que par rapport aux bloqueurs, les étudiants de Sciences Po Paris, privés de gala pendant une heure, s’en tireront de toute façon toujours bien.