Marius Borgeaud et ses intérieurs bretons hors du temps
Pierre Jeanneret | Marius Borgeaud (1861-1924) fut apprécié en France avant d’être vraiment reconnu dans son canton d’origine. Né dans une famille bourgeoise, il dilapide rapidement l’héritage de son père et doit se mettre à travailler. Ce sera à travers la peinture. Sa carrière est relativement brève, puisqu’elle commence à quarante ans et va durer vingt ans. Il a laissé quelque 300 tableaux, dont près de la moitié sont présentés à la Fondation de l’Hermitage à Lausanne: c’est dire si l’exposition qui lui est actuellement consacrée est exceptionnelle!
Borgeaud s’inscrit d’abord dans la tradition de l’impressionnisme finissant. Ce qui nous vaut quelques belles toiles, toutes frémissantes de lumière, mises en dialogue avec un choix d’œuvres de Sisley ou Pissarro, ses compagnons de palette. En 1908, c’est le grand revirement. Il renonce à la manière impressionniste et va trouver une voie totalement personnelle. Si bien qu’on reconnaît immédiatement «un Borgeaud». Il se consacre surtout à la peinture intimiste d’intérieurs. Il exécute des «séries», c’est-à-dire la même chambre peinte sous un angle différent, avec des objets placés autrement. Il y a une véritable magie dans ses toiles où l’être humain est le plus souvent absent, mais dont la présence est signifiée par une canne, un chapeau, un journal, deux bols, un chat…
En même temps, il découvre la Bretagne. Il n’est pas le premier peintre à le faire. Il y avait eu Gauguin et l’école de Pont-Aven. Mais Borgeaud, lui, renonce aux «bretonneries»: sur ses toiles, pas de calvaires, de processions, de marins en sabots ni de femmes en prière! Il peint des bistrots, avec des personnages
figés devant leur verre d’absinthe, des pharmacies dont les pots alignés lui permettent de multiples variations picturales, et surtout des mairies, notamment pendant la guerre de 1914-18. Pour lui, qui est un francophile et un germanophobe acharné, celles-ci représentent la quintessence de l’esprit civique et républicain. Aux murs de ses inté-rieurs, on trouve souvent des images populaires et naïves, ces images d’Epinal tantôt religieuses, tantôt laïques et patriotiques (le général Joffre) que Borgeaud affectionnait. Ce qui le rapproche d’un autre peintre qu’il admirait, le Douanier Rousseau. Tout comme ses compositions en aplats, figées, hors du temps, nous rappellent un autre grand Vaudois exilé en France, Félix Vallotton. Mais les chambres de Borgeaud ne sont pas totalement refermées sur elles-mêmes: une fenêtre, une porte ouvrent sur la lumière d’une rue, sur un bateau et la mer.
L’été est propice aux visites. Allez voir cette magnifique exposition! Vous en ressortirez avec un sentiment de bonheur tranquille.