Lorsque les choses changent…
Laurent Vinatier | Il ne s’agit pas de s’alarmer outre mesure, d’écouter avec sérieux les partisans fanatiques du principe de précaution, ou les annonceurs de catastrophes qui peuvent rapidement saccager un apéro. Il faut reconnaître, cela dit, que l’improbable au bout de quelque temps perd de sa constance, que ce que l’on pensait peu envisageable voire impossible se passe de façon presque naturelle, que le cours – pourtant acquis – de certains développements politiques s’inverse. Barack Obama, par exemple, vient d’effectuer à Cuba, territoire honni, banni et condamné par les Etats-Unis, la première visite d’Etat depuis 88 ans. Le dernier président en date à avoir fait le déplacement était Calvin Coolidge que beaucoup ont oublié. Ailleurs et dans un autre domaine, la Turquie, pays ouvert et tolérant – en tout cas dans ses grandes villes – vient d’être frappée deux fois en son cœur, à Ankara et Istanbul, par des attentats suicide à
6 jours d’intervalle. Elle pourrait revoir son ouverture.
Ce qui ne doit pas arriver parfois arrive. Des tendances que l’on croyait établies permutent. Les contextes changent et s’ajustent sous l’effet d’événements durables de dimension mondiale, dont les conséquences, pour la plupart, sont souvent inconnues et en tout cas mésestimées. La guerre en Syrie, qui dure depuis 2011, est un premier cas. En raison des opportunités d’autonomie mais surtout d’indépendance qu’elle confère aux Kurdes, la Turquie manifeste une certaine nervosité mais ne peut éviter de recevoir en retour des phénomènes d’agitation violente. L’engagement russe sur la scène internationale en est une seconde illustration. Les perspectives, certes peu claires, semblent suffisantes cependant pour pousser Washington à revoir ses embargos et ne pas laisser la Russie (re)prendre pied au sein de régimes alliés tout près des frontières de l’Amérique.
Si les choses changeaient aussi par chez nous… La crise des réfugiés en France pave le chemin des Le Pen ou Le Pen-Maréchal à la présidence de la République ; même dès 2017 en cas d’accumulation d’événements chocs. Pour une poignée d’intellectuels, pourtant sérieux, on ne peut plus exclure l’hypothèse d’une guerre civile sur le territoire français. La Suisse elle-même ne saurait être totalement à l’abri d’une évolution cataclysmique imprévisible : il pourrait être compliqué à un moment donné de préserver un état de neutralité. Quant aux banques, nul n’est infaillible. On s’approche là, sans doute, d’un exercice de pure spéculation, mais cela en vaut la peine, ne serait-ce que pour entretenir un doute critique sur nos sociétés et ne pas s’effondrer au moindre revers de fortune… qui arrivera.