L’Europe contre la démocratie
Laurent Vinatier | On ne semble pas plaisanter avec la démocratie chez nos voisins de la grande Union européenne, ni avec l’esprit du traité constitutionnel le plus récent. Puisque les peuples d’Europe ont majoritairement voté, le 25 mai dernier, aux élections du Parlement bruxello-strasbourgeois pour des partis de centre-droit, le prochain président de la Commission, c’est-à-dire de l’exécutif européen avec un pouvoir d’initiative en plus, doit être issu de cette famille politique. Ce sera donc Jean-Claude Juncker, le Luxembourgeois, et non pas Martin Schulz, le socialiste, comme l’a annoncé, très officiellement sur Twitter, le chef du Conseil européen vendredi 27 juin. L’intéressé a d’ailleurs immédiatement réagi sur le même réseau se disant très «fier et honoré d’avoir reçu le soutien du Conseil». A défaut d’être vraiment démocratique, au moins l’élite européenne est connectée (et cool).
Il est vrai que le Parlement européen sorti des urnes laissait planer la menace de ne pas voter pour le candidat désigné par le Conseil, si ce dernier ne suivait pas le vote populaire et ne choisissait pas l’une des personnalités soutenues par les partis. En même temps, il est loin d’être certain que l’ensemble des votants, de Bucarest à Dublin, se soient divisés globalement entre les pro-Juncker et les pro-Schulz. Chacun devine, si cela n’était pas déjà évident, que lors de ce scrutin, apparemment européen, les questions nationales dominent. C’est pourquoi d’ailleurs il y a tant de partis anti-européens représentés au Parlement européen: il est bizarre a priori que ceux qui refusent la démocratie européenne y participent quand même, en tirent bénéfice, visibilité et profit financier. On dira pour excuser cette absurdité qu’en l’absence d’un «peuple européen», il est difficile de faire autrement…
En vérité, il semble plutôt que la démocratie n’est pas ce qui corresponde le mieux au modèle européen tel qu’il se développe. D’une certaine manière, les deux concepts font route séparée. Il faut reconnaître d’abord qu’entre Schulz et Juncker, les différences idéologiques sont légères. Malgré leurs origines politiques divergentes, leur diagnostic et programme se ressemblent à s’y méprendre. Ce n’est donc pas un choix politique qu’on propose aux peuples d’Europe. Il faut compter ensuite avec le mode de scrutin, maintenu au niveau national, ce qui n’aide pas à dépasser le cadre des Etats. Le jeu démocratique européen apparaît ainsi essentiellement artificiel: les élus bruxello-strasbourgeois, pourtant puissants dans le système de prise de décision, n’ont qu’une responsabilité limitée vis-à-vis de ceux qui les sélectionnent. Au sein des Etats, c’est l’inverse: les députés nationaux, pourtant de plus en plus marginalisés politiquement par le gouvernement, sont les premières victimes des élections. Il y a là comme une sombre injustice démocratique qui fait le lit des plus radicaux.