Le chant de l’étrave
Christiane Bonder | Lorsqu’il quitte Morges à destination de Lyon, Christer sur un camion-remorque fait l’objet d’un «convoi exceptionnel» avec escorte de police. Le chauffeur suit un itinéraire précis, évitant les obstacles susceptibles de gêner la circulation ou
d’entraver l’avancée d’un tel chargement. Le bateau pèse maintenant ses 17 tonnes pour une longueur de 14,5 mètres et une largeur de 4,1 mètres, une hauteur de 3,9 mètres. Le lendemain, à l’aide d’une grue, il est mis à l’eau sur le Rhône.
D’écluse en écluse, nous nous arrêtons le soir venu, puis faisons une halte de 3 jours à Port-Saint-Louis pour remâter sous une grue et réinstaller l’accastillage. Nous sommes huit à bord, et chacun met la main à la pâte dans les odeurs de sardines que nous grillons sur un feu de bois. Au moment de quitter cette dernière étape, nous apercevons notre chat Capucin sur le pont d’un cargo prêt à appareiller… «C’est notre chat !!», crie-t-on ! «Nous avons un bon cuistot à bord !» nous répond-on !… Mais Capucin a déjà sauté à l’eau pour nous rejoindre. Ce chat est incroyable de curiosité et de toupet… C’est dans une bonne ambiance que nous traversons le golfe du Lion pour gagner Sète où une place nous est réservée dans les canaux, à couple d’une péniche.
Après mille petits travaux propres à nous faciliter la vie en mer, après avoir contrôlé tout ce qui répond de la sécurité, fait le plein de fuel et de nourriture, nous quittons Sète le 1er octobre par un petit matin brumeux. Un couple d’amis venus de Suisse nous accompagnera durant un mois pour longer la côte espagnole. C’est à Torrevieja que nous nous quittons après une expérience sympathique puisque les quarts et toutes les tâches ont été partagés. Une lettre reçue de notre amie Mary-Line 9 mois plus tard nous confirmera que loger dans la cabine arrière fut plutôt agréable… Erik et moi reparlons alors du triste évènement survenu trois jours après avoir quitté Sète et qui pèse encore lourd dans le fond de nos cœurs. Nous avions fait une longue route ce jour-là, partis d’Agde pour Port-la-Nouvelle. Dès qu’ils sentaient les odeurs de la terre proche, Bricole et Capucin étaient toujours à l’avant du bateau, truffe au vent, prêts à sauter sur le premier quai. Bricole était seule sur le pont… Capucin, à l’évidence, était tombé à l’eau, mais où, quand, comment ? Personne ne l’avait vu passer par-dessus bord… Bien qu’un chat ne nage pas longtemps, peut-être aura-t-il pu atteindre la côte et se faire adopter par une «Mamma» au grand cœur… Espérons-le…
Nous quittons Torrevieja, port trop snob, pour atteindre Aguilas où nous resterons une dizaine de jours. Nous pêchons des poulpes, recevons du poisson que nous séchons dans les haubans, à l’air et au soleil. Olivier joue sur les quais en compagnie d’autres enfants navigateurs. Nous faisons halte ensuite à Torre del Mar pour fêter Noël… un Noël triste. Olivier attrape de l’eczéma, Erik se tient la mâchoire. En descendant le foc, bousculé par l’état de la mer, il a glissé sur un pli de la voile et s’est tapé les dents sur le balcon avant. De plus, Christer est le seul voilier dans ce port espagnol… J’ai préparé le repas, décoré la table du carré de bougies plantées sur des oranges, mais le cœur n’y est pas. Notre humeur ne déteint pourtant en rien sur Olivier qui découvre son petit paquet de Noël avec des cris de joie. C’est une poupée que j’ai confectionnée en cachette, faite de boudins de tissu remplis de grains de blé. Olivier en a lui-même rempli quelques éléments en ignorant à quel usage ils seraient destinés. La tête est garnie de mousse, des tresses en laine orange la recouvrent et une chaussette coupée est nouée en guise de bonnet. Deux boutons en bois lui font des yeux bruns, un morceau de feutrine, une bouche rouge qui semble chanter… Il l’appellera Pauline, comme la petite fille avec laquelle il jouait à Aguilas et qu’il vient de quitter, lui disant: «A bientôt, Pauline, aux «Caranies»…
Quelques jours après Noël, nous atteignons enfin Gibraltar. Dès notre arrivée, trois Anglais viennent contrôler les papiers de Christer.
Ils insistent en regardant le «Ouah-Ouah» afin qu’il ne quitte pas le bateau. Nous décidons de traverser le détroit le lendemain.