L’affaire Légeret, un assassin imaginaire
Milka | Dix ans, le 4 janvier 2016, cela faisait dix ans que les corps sans vie de Ruth Légeret et de son amie Marina Studer avaient été découverts dans une villa des hauts de Vevey. Une affaire qui ébranlait la population veveysanne car la famille Légeret était connue loin à la ronde. Le père, architecte reconnu, décédé au moment des faits; Ruth, la veuve, mère de deux enfants biologiques et de deux enfants adoptés. L’unique fille, enfant biologique de Ruth, disparue au moment où on découvre les corps. Les soupçons se portent immédiatement sur un des enfants adoptés, d’origine indienne, François. Qui ne cesse de clamer son innocence, dès le début. Qui dépose recours sur recours. Qui perd tous ses droits. Qui est accusé non seulement du meurtre des deux vieilles dames, mais aussi de l’assassinat de sa sœur, sœur dont on n’a jamais retrouvé le corps, ni aucune trace d’ailleurs. Un autre frère adopté, vivant en Valais et décédé depuis, mis hors de cause, et un autre enfant biologique, jamais inquiété, et qui accuse très rapidement son frère, allant même jusqu’à citer pour preuves les rêves de son épouse. Et dont la voiture ne sera fouillée que 11 mois plus tard. Le témoignage d’une boulangère qu’on s’évertuera à faire passer pour folle, et qui se rappelle cette date parce que c’est le premier Noël qu’elle passe sans son mari. Ce sont des détails qui marquent et qui peuvent l’aider à se souvenir de cette date, comme sa collègue à qui elle téléphone ce jour-là et à qui elle dit avoir servi Mme Légeret et sa fille, mais ce n’est pas crédible pour les juges. A croire que tout ce qui pourrait jeter un doute sur la culpabilité de François Légeret est balayé d’entrée de jeu. Aucune preuve matérielle n’a jamais été produite contre François Légeret. Rien ne tient selon l’auteur dans cette théorie qui en fait un assassin.
Ce livre est édifiant. Edifiant parce qu’il démonte pièce par pièce le dossier mené à charge contre François Légeret. Le doute doit profiter à l’accusé. Ce ne fut certainement pas le cas dans cette affaire. L’auteur a passé en revue de façon minutieuse tout le dossier, et je dois dire que ce livre nous procure un malaise profond parce que les faits démontrent clairement que ce n’est pas lui. Mais alors à qui donc profite le crime ?
François Légeret a tout perdu dans cette affaire. Ses biens lui ont été confisqués, il ne peut plus bénéficier des revenus provenant de ses immeubles, son seul revenu étant son travail à la prison, à savoir 36 francs par jour. Et on se pose toujours la question: A qui profite le crime ?
Puisque c’est si clair et limpide pour l’auteur qui a fait un travail de journaliste d’investigation alors qu’il n’était pas convaincu au début de la culpabilité de François Légeret, pourquoi les différents juges qui ont traité cette affaire ont-ils refusé de se rendre à l’évidence ? Pourquoi un tel acharnement ?
Jacques Secrétan n’est pas un néophyte dans le travail d’investigation. Correspondant en Amérique latine depuis 1976, il a suivi les procès des anciens dictateurs Videla, Galtieri, Pinochet et consorts. Plus tard, en mars 2015, son travail d’investigation a contribué à la remise en liberté de Debra Milke, la seconde condamnée à mort dont l’innocence a été reconnue depuis le rétablissement de la peine de mort aux Etats-Unis, en 1976.
Un livre qui ne fait pas du bien, mais qui donne un autre éclairage sur une affaire dont tout le monde a entendu parler. Et qui soulève des questions, beaucoup de questions. Et que certains magistrats devraient peut-être lire.
Pour la modique somme de 15 francs.