Ida au supermarché
Christiane Bonder | S’ils revenaient sur terre et devaient vivre à notre manière l’espace de quelques jours, nos grands-parents en tomberaient… dans les pommes. Mais dans quelles sortes de pommes? Des Gala, des Golden, des pommes du pays ou importées d’Afrique du Sud? Des douces, des acides? Et même topo pour le raisin: du bleu, du blanc ou du rosé, le Globe dont les grains avoisinent le diamètre de la balle de ping-pong?…
– Alors, grand-mère, avec ou sans pépins ton raisin?…
Pour sûr qu’Ida en perdrait son latin, autant vis-à-vis du raisin que du consommateur, se demandant avec raison lequel a le plus gros grain…
Les supermarchés ont encore de beaux jours devant eux: de la chaussette au dentifrice, du riz nacré à la bouillotte, du scotch au collier pour Médor, du thé ayurvédique au miel de nos montagnes, tout, tout, tout, vous y trouvez tout ce que vous cherchez. C’est du pratique, du rationnel, plus question de perdre son temps chez le boucher puis l’épicier et encore moins chez Léontine, la boulangère pourtant divine. Tout est si bien organisé que vos achats alimentaires complétés de quelques babioles sont liquidés en moins d’une heure…
Cependant, et il en fut toujours ainsi, la médaille ayant son revers, nous voici invités à faire un sérieux bilan. Qu’en est-il de ces belles promesses visant à l’écologie, au respect du climat, aux cultures Bio sans pesticides? Quels sont ces étals aux lumières tamisées où des fraises à Noël et des haricots fades complètent un choix déjà plus qu’abondant? Le client ne croit plus désormais aux gentilles coccinelles mangeuses de pucerons ni aux couleuvres dont le bien-être est dû à l’huile de palme. Un ver de temps à autre, une tache ou un défaut nous prouverait peut-être que cette pomme est une pomme, cette framboise une framboise…
Une curieuse impression de client trompé s’insinue peu à peu alors que, fidélisé à notre supermarché, nous lui faisions confiance. Le souvenir de notre enfance qu’un abricot «made in Valais» ensoleillait dès le seuil de l’été, le bon papet vaudois ou le chou aux marrons en saison hivernale… Les fruits secs, les noix et autres légumineuses suffisaient amplement à maintenir la forme, la bonne santé de l’organisme. Et si vraiment il le fallait, l’huile de foie de morue se trouvait là, juste à portée de bras…
Retrouvons les saisons, retrouvons nos régions, car la nature parfaite sait nous offrir tout ce dont nous avons besoin. Un peu d’humilité en maints domaines est désormais de mise afin de préserver une planète largement essoufflée, et cela, avant que la trace de l’homme sur la terre ne s’efface à jamais…