«… Déjà ?… Pas vu venir…»
ML | Et pourtant… il faut bien en convenir. Marie-Louise a nonante ans! Née à Payerne le 15 février 1925, Marie-Louise y a suivi toute sa scolarité au sortir de laquelle elle a accompli un séjour à Berne, un autre à Fribourg, avant de s’établir à Lausanne pour y fonder famille et, de là, dénicher cet endroit mystérieux et secret, propice à l’inspiration et à la réflexion, lové dans une colline boisée non loin du lac de Bret sur la commune de Puidoux, la Vulpillière (la renardière) que, le plus tardivement, Marie-Louise quittera pour des lieux plus habités et plus proches des commodités, en surplomb du Léman sur les hauteurs de Chexbres.
Le vecteur de Marie-Louise, son élixir de vie, c’est le patois. Contrairement à ce qu’on pourrait supposer, cet intérêt pour ce langage n’est pas lié à son enfance ni à sa prime jeunesse. Non. Ce sont les lieux – et notamment le Jorat – qui ont été le déclencheur de ce qui sera par la suite un indéfectible compagnon de vie. Concrètement, l’étincelle première a jailli au contact de Jeanne Décosterd qui tenait un magasin à Palézieux et qui parlait patois avec son propre père, Louis Décosterd, émérite patoisant. Pour Marie-Louise, l’étincelle ne fut pas que furtive mais, au contraire, le départ d’une flamme qui se maintint et se poursuivit au contact de patoisants de Forel, dont Frédéric Duboux avec qui elle engagea une longue collaboration qui déboucha sur l’édition du fameux dictionnaire Duboux. Pour comprendre cet engouement, il convient de savoir que, pour Marie-Louise, le patois n’est pas qu’«on passatein» (un passe-temps), mais qu’il recèle dans ses expressions l’essence de la vie – vaudoise en particulier –, la signification première des noms de lieux, de familles, de métiers, de gestes, d’outils. Passionnée par ce langage et par toute la richesse qui en découle, Marie-Louise ne pouvait que se diriger vers les sociétés de patois existantes: l’Association vaudoise du patois (AVAP) dont elle fut caissière durant 10 ans, puis présidente pendant 16 ans, et l’Amicale des patoisants de Savigny, Forel et environs dont elle est toujours l’inimitable et irremplaçable «gratta-papaî» (secrétaire). Marie-Louise a participé à de nombreux concours littéraires, le Kissling, bien sûr, de même que les concours organisés dans le cadre des Fêtes interrégionales de patois. Pas moins de 18 «Premier Prix» sont venus récompenser ses travaux. Ses sujets de prédilection, la vie quotidienne d’autrefois et celle d’aujourd’hui. Dans ses écrits, en plus de l’aspect descriptif des choses, Marie-Louise ne manque jamais de dénoncer les travers de la vie de notre époque, le gaspillage, l’absurdité de certains comportements. La clé de son écriture? Le goût du mot juste, de la simplicité, de l’essentiel, de la beauté et du respect de la nature. Marie-Louise, c’est un regard attentif sur la vie, c’est le contentement engrangé et donné à qui veut bien partager cet art de vivre qui se nourrit du passé en accueillant le présent, le progrès – avec ses bons et ses moins bons côtés – sans jamais le subir. Inutile de préciser que pour Marie-Louise le patois n’a pas été qu’un plaisir personnel mais que, au contraire, elle a tenu à le maintenir et à le faire découvrir à d’autres en donnant des cours à l’Université populaire, à l’Association des paysannes vaudoises, dans les classes et, aujourd’hui encore, chez elle, à des élèves de toutes générations qui s’intéressent à ce langage couramment pratiqué autrefois dans le canton.
90 bulles de patois, de musique, d’amitié, d’affection ont pétillé dans les yeux de tous ceux qui ont vécu ce moment privilégié à la salle de paroisse de Chexbres en l’honneur de cette attachante et atypique nonagénaire. «Adan, dzoyâo z’anniverséro, Marie-Luise!»