Corcelles-le-Jorat – Les promesses de l’éolien ?
Transition énergétique – 4 / 4
Thomas Cramatte | La Suisse se trouve actuellement dans un tournant en ce qui concerne son approvisionnement énergétique. Abandon de l’accord-cadre, sortie progressive du nucléaire, consommation grandissante, tant d’éléments qui incitent à trouver des alternatives pour éviter une pénurie d’électricité. L’énergie éolienne se présente comme une ressource non négligeable dans cette transition énergétique. Tour d’horizon régional.
Actuellement, 41 éoliennes sont recensées en Suisse. Ces installations ont produit 146 millions de kilowattheures (kWh) l’année dernière. « Ceci correspond à la consommation de 40’000 ménages, soit près de 0.2% de la consommation d’électricité totale de notre pays », informe Suisse Eole. En comparaison avec l’Europe, notre pays est régulièrement considéré comme étant en retard. C’est du moins l’observation de l’Association européenne de l’éolien (Windeurope), qui annonce que 16% de l’électricité consommée en Europe provient de l’éolien. Avec en pole position, le Danemark et ses nombreuses installations en mer, où quasi la moitié (48%) de sa consommation électrique provient du vent. Plus proche de nous, l’Allemagne détient le record d’éoliennes avec près de 30’000 machines. En zoomant davantage, il existe deux projets de parcs éoliens dans la région : « EolJorat Nord se compose de quatre éoliennes de 150 mètres de hauteur pour une production estimée de 30 gigawatts par année, soit entre 6000 et 7000 ménages », explique Daniel Ruch, syndic de Corcelles-le-Jorat. Abordée par le groupe Alpiq, il y a plus d’une dizaine d’années, la commune de 500 habitants présente une situation idéale pour l’implantation d’éoliennes : « Nous sommes situés sur une bosse à 850 mètres d’altitude, dans une région exposée régulièrement aux vents ». Aux abords de la capitale vaudoise, EolJorat Sud projette, de son côté, l’installation de huit éoliennes : « Ce projet de production d’énergie locale et renouvelable constitue une ressource importante. Car cela répond au manque d’énergie renouvelable en hiver », informe Xavier Company, municipal en charge des Services industriels à la ville de Lausanne. Aujourd’hui, 76 projets éoliens sont en cours de procédure en Suisse. Pour le parc lausannois, réalisé par SI-REN SA, cette paralysie s’explique par différentes raisons. Tout d’abord, les complexités administratives : « On observe une vingtaine d’années entre la conception et la réalisation des parcs éoliens en Suisse », ajoute le municipal lausannois. En France, les démarches sont simplifiées et plus rapides, puisque ce délai est raccourci entre un à trois ans. « Le processus de mise à l’enquête et d’oppositions a débuté en 2013. Ce dossier est entre les mains du Tribunal Fédéral depuis 2019», ajoute Xavier Righetti, directeur de SI-REN SA. Cette première étape franchie, ce projet doit encore passer le cap du Tribunal fédéral. Après cela, la procédure de mise à l’enquête de chaque éolienne pourra débuter, avant l’obtention d’un permis de construire. Les diverses organisations non gouvernementales (ONG) ont donné leur accord pour la construction du parc EolJorat Sud. « Il est primordial de discuter avec les populations locales pour que ces éoliennes soient acceptées », souligne le membre de l’exécutif. Pour les membres des Services industriels de Lausanne, la récente annonce de la Confédération en octobre dernier sur la pénurie d’électricité pourrait changer la donne : « Simonetta Sommaruga a annoncé qu’elle souhaitait revoir les procédures pour accélérer ce type de projet ». Concrètement, il s’agit de revoir le nombre de recours possibles pour les opposants : « L’idée serait par exemple de ne permettre qu’un seul recours en regroupant les procédures d’approbation », informe le site web de SI-REN SA.
Production intermittente
« Techniquement, il n’est pas possible de stocker l’électricité », détaille l’ingénieur Jean-Marc Jancovici. « Physiquement, l’électricité se définit comme un électron en mouvement. Donc pour la stocker, nous devons la transformer en autre chose », explique le président de Shift Project à Documentaire et Vérité. Non stockable, l’électricité éolienne est également intermittente : « Les hélices des machines prévues à EolJorat Sud se mettent en mouvement à partir d’un vent à 8 kilomètres par heure », précise Xavier Righetti. A l’inverse, la production devra être stoppée si les vents dépassent 100km/h. Cela sera également le cas lors des périodes de migration des oiseaux : « On estime que les machines tourneront à pleine charge durant un plus de 2000 heures par année. Ce qui devrait permettre de répondre aux besoins énergétiques de 20’000 à 25’000 ménages de la commune de Lausanne », commente le directeur de SI-REN SA. Sur le terrain, les éoliennes n’ont pas le vent en poupe. A Corcelles-le-Jorat, Christophe Balissat met en garde sur de telles installations. Pour le municipal, les nuisances sonores ne sont pas à prendre à la légère, sans compter les impacts environnementaux et écologiques : « Vu les dommages qui seraient causés aux populations d’oiseaux, il y aurait des compensations prévues », réagit l’homme politique. « Nichoirs, bosquets et reposoirs sont des compensations amusantes si on pense aux dégâts causés par ces machines ». Pour cet amoureux de nature et d’écologie, les éoliennes ne sont pas la solution : « J’étais favorable à l’idée même de l’éolienne. Mais en discutant avec des habitants aux abords de parcs, l’éolien est un alibi ». Christophe Balissat n’est pas un cas unique. De nombreuses personnes estiment comme lui que la vague verte actuelle tente de trouver des solutions aux problèmes posés par les générations précédentes et aveuglent les foules sur ces projets. « Ces machines de 210 mètres de hauteur balayent des surfaces de plusieurs terrains de football. C’est tellement énorme, que l’on n’arrive pas à se les imaginer », désespère l’opposant avant d’ajouter que le sacrifice sur le paysage n’en vaut pas la peine. « Il ne faut pas non plus négliger les impacts sur le vivant. Les effets des infrasons peuvent bouleverser le métabolisme et le bruit des rotors est le supplice de la goutte d’eau. Sans oublier que le prix de l’électricité devrait augmenter ».
Calculs des vents
L’interprétation des vents n’a cessé de varier depuis les débuts du parc EolJorat Nord : « Au fil des ans, on s’aperçoit que les vents de la région ne sont pas suffisamment forts. Pour capter plus de vent, le diamètre des hélices passe de 115 à 126, voir même à 136 mètres. Les machines s’élèveraient à plus de 200 mètres du sol », explique Christophe Balissat. En 2016, un nouvel atlas des vents est élaboré. Pour les opposants, cette nouvelle était synonyme de mauvaise surprise : « Avec le recul, nous savons que ces calculs ont été réalisés par des promoteurs ». Depuis, l’atlas des vents a été retravaillé avec les valeurs de MétéoSuisse et les résultats retombent à une valeur similaire de la première version précédente de ce même atlas.
Questions à Simonetta Sommaruga
Le Courrier : les centrales électriques (biogaz, bois, hydraulique, solaire, éolien) représentent-elles des sources d’énergie suffisantes pour pallier
une éventuelle pénurie ?
Simonetta Sommaruga : J’insiste sur le fait que nous n’avons pas de pénurie. Mais dans le secteur énergétique, il faut préparer l’avenir à temps. Pour renforcer la sécurité de l’approvisionnement et stabiliser le réseau, le Conseil fédéral veut accroître la production d’énergie indigène et améliorer la capacité de stockage. Les mini-centrales sont un des piliers de cette stratégie. La force hydraulique est le point fort de notre pays. C’est pourquoi les cantons, la branche énergétique et les organisations environnementales se sont récemment mis d’accord sur la réalisation d’une quinzaine de projets qui nous permettraient de produire et de stocker 2 térawattheures supplémentaires d’énergie hydraulique. Cela renforcera grandement la sécurité de notre approvisionnement en électricité durant l’hiver. Nous voulons aussi développer les autres sources d’énergie renouvelable comme le photovoltaïque.
Le Courrier : Peut-on voir dans un futur proche un protocole de construction facilité de ce type de centrales ?
Simonetta Sommaruga : L’obtention d’un permis de construire pour les centrales hydroélectriques et les parcs éoliens, prennent énormément de temps. Début 2022, j’aimerais mettre en consultation un projet en vue de les accélérer. Je travaille depuis longtemps à l’élimination des réglementations qui entravent le développement des énergies renouvelables.
Le Courrier : Comment sera distribuée l’électricité en cas de crise ?
Simonetta Sommaruga : Comme pour toute autre crise, la Confédération a mis au point un dispositif dans l’approvisionnement économique du pays, via l’organisation pour l’approvisionnement en électricité en cas de crise (OSTRAL). Le dispositif prévoit différents niveaux en fonction de la gravité de la situation : d’abord une interdiction des appareils non essentiels utilisant beaucoup d’électricité, comme les escaliers roulants, puis un contingentement de l’électricité dans les entreprises énergivores et, seulement en dernier recours, des interruptions de l’approvisionnement électrique pendant quelques heures.
Le Courrier : Sortie progressive du nucléaire, consommation électrique toujours plus nombreuse, population en augmentation, ces éléments peuvent donner l’impression aux citoyens qu’il est déjà trop tard. Que dire pour les rassurer ?
Simonetta Sommaruga : La sortie du nucléaire est, comme vous dites, progressive. Cela signifie que tant que la sécurité est garantie dans les centrales existantes, elles continueront à fournir de l’électricité. Contrairement à l’Allemagne, il n’y a pas chez nous de date butoir pour l’abandon du nucléaire. Ces derniers mois, plusieurs études ont été publiées pour détailler différents scénarios ainsi que les mesures que la Suisse devrait prendre en cas de pénurie. Elles ont peut-être semé la confusion chez certaines personnes. Ces publications prouvent simplement que nous travaillons d’arrache-pied pour trouver les lacunes qui pourraient nous porter préjudice et pour avoir des solutions afin d’y faire face. La Suisse aura besoin de produire elle-même plus d’électricité pour ne plus dépendre autant des importations. Pour que cela se fasse rapidement, le Conseil fédéral a proposé différentes mesures. Les propositions sont actuellement dans les mains du Parlement. J’espère donc que les Chambres fédérales iront de l’avant !