Ce qu’on appelait autrefois «humanité»
par Laurent Vinatier | Cette fois-ci, le maire prorusse d’une ville rebelle – qui ne souhaite pas pour autant le rattachement à la Russie – est grièvement blessé, ce qui évidemment ne va pas encourager le dialogue; de leur côté, ceux qui occupent les bâtiments font des prisonniers de guerre ukrainiens. En Centrafrique, continuant à cibler des individus sans défense, des hommes armés attaquent un hôpital et tuent à peu près tout le monde. En Egypte le régime militaire condamne à mort 700 «militants», ayant pris part à des manifestations en faveur des Frères musulmans; ceux-là venant s’ajouter aux 500 autres envoyés aussi, un peu plus tôt cette année, à la peine capitale. Que dire de plus vraiment?
Par chance, ce dimanche 27 avril, un peu hors-sujet, l’Eglise romaine catholique a procédé à la double canonisation de Jean-Paul II et Jean XXIII. Cela semble tellement surprenant, tellement incroyable, tellement prétentieux d’ainsi s’autocélébrer, alors que tout autour du Vatican, on s’égorge ou on s’apprête à s’égorger, avec allégresse et en toute impunité, du moins pour ceux qui ont les armes. Pourquoi donc tant d’intemporalité? Il s’agit quand même, c’est vrai, du fond de commerce des catholiques, qui sont assez coutumiers en général de comportements ou déclarations totalement déconnectés du réel. Qu’à cela ne tienne: on leur laisse. Et puis, il fallait bien le faire à un moment donné. Maintenant ou plus tard, de toute façon, l’environnement sanglant aurait été à peu de choses près le même, comme d’ailleurs il l’était du temps de Jean-Paul II et de Jean XXIII.
Il y a quelque chose d’agréablement suranné dans cet acte, une espèce de nostalgie, fausse, mais qui rassure, une manière précisément de se tenir hors du monde et de constituer ainsi une sorte de bouée, d’ancre ou de refuge pour ceux qui veulent avoir l’impression d’échapper au poids, souvent insupportable, de leur vie. L’islam dans une certaine mesure tend aussi à jouer ce rôle pour certains au Moyen-Orient. Très paradoxalement, au-delà de tous les abus terribles qu’elles comportent, les religions ont cette capacité d’offrir à ceux qui veulent ou qui en ont besoin une bouffée d’oxygène. Les catholiques comme les autres se doivent de remplir cette mission. Leur truc à eux, c’est la canonisation déconnectée, c’est tout. Celle-ci aura eu cette semaine le loisir de faire écho à cette phrase merveilleuse prononcée par le concierge du Grand Hôtel Budapest (le film actuellement au cinéma), lorsqu’il se voit sauvé d’un mauvais pas: «Il reste donc quand même ici un petit quelque chose de ce qu’autrefois on appelait humanité».