« Rendez-vous avec Gilles »
J.-G. Linder | Au Caveau du Cœur d’Or à Chexbres, l’Association du Vieux Lavaux a invité le public à (re)découvrir Gilles (†1982), né Jean Villard à Montreux en 1895. Le conférencier Grégoire Montangero et les Swinging Bikinis interprétant à 4 voix des chansons de Gilles ont ravivé le souvenir de cet homme de scène vaudois, au talent aussi exceptionnel qu’universel.
Jean Villard veut très tôt se vouer au théâtre et offre, une première fois, ses services à l’artiste parisien Jacques Copeau, fondateur du Théâtre du Vieux-Colombier (1913), qui ne peut alors donner suite à cette demande. Surprise toutefois en 1918 à Lausanne: Charles-Ferdinand Ramuz qui offre à Jean Villard le rôle du diable dans son livret L’Histoire du soldat sur une musique d’Igor Stravinski; mais la tournée est interrompue par l’épidémie de grippe espagnole.
Jean Villard se tourne à nouveau vers Copeau qui l’engage d’abord au Théâtre du Vieux-Colombier à Paris, puis en Bourgogne jusqu’en 1929. Les jeunes comédiens de la troupe, dont Jean Villard, s’émancipent peu à peu de leur maître Copeau; ils sont surnommés les copiaus par les Bourguignons. Dorénavant indépendants et de retour à Paris, Jean Villard – dit Gilles – et Aman Maistre – dit Julien – révolutionnent le spectacle des tours de chant; leur interprétation de la chanson subversive Dollars (1932), inattendue au Théâtre de l’Empire – comme Gilles lui-même l’a plus tard rapporté –, porte le duo au sommet de la notoriété; réinterprétée l’autre soir au Cœur d’Or, Dollars n’a toujours rien perdu de son impact!
Mobilisé en 1939, Gilles, dénoncé par certains services secrets comme bolchevik, entre au service de la radio avec pour mission de produire une chanson par semaine. En 1940 Edith Burger et lui fondent à Lausanne, à l’Hôtel de la Paix, le cabaret Au Coup de soleil, un lieu de liberté francophile et de résistance, où retentit bientôt le brûlot «antiboche» Les Conquérants – attentivement écouté à Chexbres, le 8 novembre dernier. A la mort prématurée de sa partenaire Edith, de nouveau à Paris (1947), Jean Villard se produit dans un troisième et dernier duo, Gilles et Urfer. A la fin des années 1950, Gilles et son épouse Evelyne achètent et transforment une maison de Saint-Saphorin qui marque le retour de Gilles en Suisse, dans sa région natale, où il continuera de chanter en duo avec Urfer.