Toucan 5 – Le disparu de Lutry – Un roman de Christian Dick
Plus tard, vers la fin de la matinée, après avoir croisé devant Yvoire, ils se rapprochèrent des côtes suisses, laissant derrière eux Coppet, son château et ses anciennes demeures. Ils arrivaient à Versoix reconnaissable à son vaste port de plaisance, Port-Choiseul, dont les deux longues jetées s’étiraient symétriquement de chaque côté de l’entrée. A moins d’un mille marin en aval, un quai reliait un restaurant à une estacade. Au bout, un feu vert sur une tige d’acier signalait l’entrée tribord d’un petit port, le port de Versoix-Bourg. A l’ouest, à l’extrémité d’un ponton en bois, son équivalent rouge indiquait la limite bâbord.
Il était passé midi. Amanda consulta Cordey du regard. De sa poche, il avait sorti un bout de papier froissé. Au ralenti ils avaient poursuivi leur chemin sur quelques centaines de mètres.
– 46°16’16.92’’N par 6°10’14.76’’E. Y sommes-nous?
Amanda consulta son Garmin. Ils y étaient presque. C’était une longue jetée faite de gros cailloux. Elle abritait de la bise l’accès à un port privé. Au bout d’un vaste domaine s’élevait une superbe construction de pierres de taille et de briques rouges. C’était très, très privé. On n’y accostait pas par hasard.
Cordey observa la digue. Elle n’était signalée d’aucun feu.
– Tu es songeur ? demanda Amanda.
– C’est là qu’il y a onze ans s’est échoué un fin régatier. Etrange. La jetée du petit port de Versoix-Bourg est large, solide, bien visible et la signalisation suffisamment haute. Elle abrite aussi le bâtiment du Sauvetage. On ne peut pas la manquer. Celle-ci est plus discrète, peut-être peu visible de nuit mais plus courte. En venant de l’est, comme nous, l’une doit signaler l’autre. On ne peut pas ne pas faire attention.
– En effet, admit Amanda. Que s’est-il passé?
– C’est là que tout a commencé. Un Toucan s’est abîmé sur la jetée. On n’a jamais retrouvé le moindre corps. Les plongeurs de la Police de la navigation genevoise ont plongé en cercles, ratissé la berge, écumé la région, sans résultat. Notre Brigade du lac a plongé depuis Coppet. A cause des courants. Ou des contre-courants. Un corps plongé dans l’eau coule. Il remonte ensuite à la surface, au fur et à mesure qu’il se remplit de gaz. Après un certain temps, il coule définitivement. Aucun corps n’a jamais été retrouvé. Mais ça ne veut rien dire. Les plongeurs ont pu l’avoir manqué.
– C’est tout de même bizarre, cette absence de témoins. Dans le Petit-lac la fréquentation est élevée.
– Oui. C’est étrange. Mais ça ne veut toujours rien dire. Ici, du bord on ne voit rien. Il n’y a aucun public.
– Et ailleurs? demanda Amanda.
– Je n’en sais rien. Apparemment non. Il devait pourtant y avoir du monde en amont, sur le quai, au port, au local du Sauvetage, ou même à la terrasse du restaurant… Mais de tous ces endroits la jetée n’est pas visible. Quelqu’un peut avoir vu le voilier sans imaginer qu’il s’échouerait six cents mètres en aval.
– D’autres personnes à bord?
Cordey ouvrit son calepin et nota : a) heure de départ de JM, b) météo du jour. Puis il répondit :
– Peut-être, peut-être pas, j’en sais rien.
VII, mercredi 9 juillet 2014
La Nautique ne fournissait sur l’Internet aucun résultat antérieur à l’an 2000. Amanda et lui ne s’étaient donc pas donné la peine de s’y rendre. «Un déplacement à la Nautique, avait dit Parisod, ça se prépare. Idem pour une arrivée par le lac», avait-il ajouté. Ils reviendraient donc avec l’ami vigneron. Ils accéderaient aux archives et y rencontreraient les habitués. Un plan de la ville serait aussi nécessaire.
Le soleil se levait sur Lausanne. Le ciel était limpide, comme l’eau du lac en hiver. La circulation commençait à se faire entendre. Les premiers automobilistes, le regard à l’horizontale, envahissaient déjà le quartier à la recherche d’une place de parc. Une préoccupation majeure ! Alors, la couleur du ciel…
Cordey se rasa, s’habilla et en sifflant gagna sa voiture à la grande satisfaction d’un pendulaire. La veille n’avait pas eu le succès escompté du point de vue de l’enquête. Mais d’un autre… Au volant de sa voiture, il sifflait encore. Amanda et lui s’étaient promis pour ce jour une sortie matinale sur le lac.
Il était encore tôt. Cordey s’arrêta en chemin, ailleurs, comme le signe d’un changement. Il commanda un café qu’il but en lisant son journal du matin. Les nouvelles étaient-elles fraîches ? Il lui sembla que oui, que non, c’était selon, que l’actualité pouvait se lire hier, aujourd’hui ou demain, que les mêmes actes de barbarie se répétaient inlassablement, toujours dans les mêmes pays. Et ça empirait. Il tourna quelques pages, découvrit les soucis des grands de ce monde, les caprices des divas et les préoccupations de nos modèles. Affligeant ! Mais il en aimait néanmoins la lecture, ou l’habitude… Et les sports!
A SUIVRE…