Oron: le Solitaire
Pierre Chastellain | C’était un cerisier. On le disait âgé de plus de deux cent ans. D’aucuns l’appelaient « Le Solitaire » tant il semblait isolé, entre ciel et terre, au sommet de sa colline, entre Chesalles et Bussigny-sur-Oron. Deux cent ans… huit générations qui l’ont d’abord vu grandir, puis s’épanouir pour enfin dominer l’horizon de toute sa majesté. Combien l’auront admiré, dressé au soleil couchant de l’été ou sculpté de givre au plus froid de l’hiver. Combien se seront mis au frais sous son ombre généreuse, combien auront caressé son écorce rugueuse, combien auront peut-être même été lui confier quelques secrets joyeux ou tristes… Il était là, immuable, invincible, et ceci même si, depuis quelques années, il s’était quelque peu dégarni, comme un humain qui vieillit. Immuable ? Et bien non, la fulgurante tempête de lundi en début de soirée a eu raison de lui, brisant son tronc pourtant si énorme que même à deux, on ne pouvait, de nos bras, en faire le tour. Le Solitaire s’est couché et cela rend triste comme lorsque l’on perd un ami. Il y aura pour longtemps un grand vide au sommet de la colline avant que ne grandisse, à sa place, un nouvel arbre qui marquera comme lui le paysage de sa présence magnifique.