CinéDoc – “Visages-Villages” – Entre vue et regard
«Visages –Villages», documentaire d’Agnès Varda et JR
Colette Ramsauer | C’est l’histoire auto-filmée d’une relation intergénérationnelle, l’histoire d’une amitié faite de complicité entre deux artistes de l’image. Elle, octogénaire sur le tard, un petit bout de femme alerte, une grande dame. Lui, 33 ans, personnage énigmatique derrière ses lunettes noires et sous son chapeau. Elle, c’est la cinéaste et photographe Agnès Varda, qu’on ne présente plus. Lui, JR – on n’en saura pas plus sur son nom, un autre chasseur d’images qui a imaginé un véhicule magique: une grande boîte roulante affutée d’une cabine photomaton cracheuse d’images géantes.
Au-delà du reportage
Visages-Villages dépasse le documentaire. Le projet aventureux d’Agnès Varda et de JR est de parcourir les routes de l’Hexagone sans point précis et au hasard, de questionner au passage ses habitants, les laisser s’exprimer sur leur vie, leurs origines, puis figer en format géant leur profil ou leurs photos souvenir à un endroit consenti. Certaines images feront le tour du monde à la vitesse d’un éclair sur les réseaux sociaux, via le smartphone de spectateurs abasourdis. Ça, ils ne l’avaient pas imaginé.
Les voilà partis
A Bruay-la-Buissière dans le Nord, ils rencontrent Janine ultime habitante d’un quartier de corons qui attend sa destruction. Clic! sur d’anciennes images de mineurs. Clic! sur le portrait de la résistante. Illico, les gars d’une équipe technique, en partie formée sur place, se mettent à l’oeuvre. A l’eau et à la colle sur l’entier de la façade pavée de sa maison, ils affichent. Janine prend du recul pour voir. Elle ne retient pas ses larmes. Et nous, on a envie d’entonner Les Corons de Pierre Bachelet. Loin l’idée de faire pleurer les gens, mais celle de rappeler d’abord qu’ils existent, ici un carillonneur, un maire, une jeune mère de famille à Bonnieux, là un travailleur d’une usine à la veille de sa retraite. Clic! sur 65 de ses collègues pour une photo de famille, à coller au mur de l’usine. Qui à Chérence un paysan, qui un éleveur, un artiste, un facteur ou encore, à Pirou-plage dans le Midi les habitants des alentours convoqués à un grand pique-nique pour une fête du portrait dans un village de vacances fantôme. Clic! sur chacun son portrait à découper soi-même pour la création d’un grand puzzle. L’imagination des réalisateurs déborde.
Sujets universels
Les idées foisonnent, qui symbolisent des réalités d’aujourd’hui, des sujets universels. Les animaux ne manquent pas à la galerie des portraits. Clic! une chèvre. Scotchée à la paroi d’une grange, son image rappelle qu’elle a échappé au décornage. Et clic! les poissons du marché qu’on retrouve, image grossie, à la hauteur d’un château d’eau. Des dockers au Port du Havre, Agnès a voulu rencontrer leur femme: «Je ne veux pas des portraits mais des femmes debout». Nathalie, Sophie et Morgan côte à côte se retrouvent en silhouettes géantes sur des containers empilés. 15 mètres d’hauteur, vertigineux!
Sur les murs, sur les rails
L’art monumental engagé c’est l’affaire de JR. Parmi ses supports d’empreintes: le Mur de Jérusalem et très récemment la frontière Mexique/USA; à Paris, il a tapissé le sol du Panthéon de portraits d’artistes, et quelque part en zone industrielle sur d’immenses citernes, figé une paire d’yeux grand ouverts sur le monde. Pour Visages-Villages, il récidive sur des wagons, avec les yeux et les petons fatigués d’Agnès, déjà comme un adieu: «Pour t’emmener là où tu n’iras jamais».
Visite à Bourdin, Bresson, Godard
Sur une plage de Normandie, un blockhaus renversé sert de support à une image de Guy Bourdin, cliché que la cinéaste émue a sorti d’un album sentimental. L’envie d’une visite à un autre de leurs maîtres les emmène dans Le Luberon sur la tombe de Cartier Bresson. La tentative de rencontrer un cinéaste introverti les laissera pantois devant une porte fermée. «Peau de chien!» dira Agnès, attristée.
Entre vue et regard
Agnès Varda souffre d’une maladie oculaire qui lui trouble la vue et l’empêche de voir loin. JR garde ses lunettes noires vissées sur son nez. Dans leur champ de vision, le regard des deux artistes va au-delà de ce qui est visible, saisit l’essentiel.
Le film de bout en bout nous fait voyager avec ce regard, si justement ouvert sur les autres. A ne pas manquer!
«Visages-Villages»
Documentaire, fiction, France 2016, 89′, vo/o/ fr, 10 ans
Réalisation Agnès Varda et JR
Musique de Matthieu Chedid
Prix l’Oeil d’Or du meilleur documentaire, Cannes 2017
Au cinéma d’Oron le 20 octobre à 20h