Enquête: carton rouge pour l’arbitrage vidéo
Joseph Patrice Meyong | Après l’introduction de la goal-line technology durant le mondial brésilien en 2014, la coupe des Confédérations est le théâtre choisi par la FIFA pour tester l’arbitrage vidéo. Entre la quête de la justice et le souci du spectacle, cette technologie n’a pas rassuré les sceptiques, bien au contraire. Doit-on tronquer la justice au spectacle? Doit-on remplacer le pouvoir de décision de l’homme à l’espoir de la perfection des machines? Dans cette coupe des Confédérations, la vidéo a montré ses limites. En attendant qu’elle soit au point, elle mériterait le carton rouge.
«La main de Dieu» de Maradona, celle de Thierry Henry face à l’Irlande, le but non accordé à Frank Lampard au mondial 2010 durant le match Angleterre-Allemagne, les erreurs d’arbitrage sont légion dans le football. Elles sont permanentes voire intempestives. Elles sont tellement récurrentes que pour certains observateurs du football, l’erreur d’arbitrage fait partie du jeu. Si ces erreurs créent des polémiques, elles offrent par contre des passionnants débats et des sujets d’articles pétillants aux journalistes. «Une tricherie» ou une faute non sifflée par un arbitre pendant un match laisse bien évidemment un gout amer pour le lésé. La question d’un football juste a été et est encore aujourd’hui une problématique importante pour les instances dirigeantes du football mondial.
Plusieurs solutions ont été appliquées. Des améliorations de la formation et des équipements des arbitres. Un quatrième et cinquième arbitre sur la ligne de but, pour ne citer que ces quelques exemples. Malgré cette logistique et ces mesures importantes, les erreurs d’arbitrage et des réclamations des joueurs demeurent importantes dans nos stades. Ce constat nous amène à nous demander si le football a vocation à être juste? Toujours est-il que dans les hautes sphères de la gestion du football mondial, le débat sur l’intégration des nouvelles technologies pour aider l’arbitre à trancher reste intense.
Les leaders du football mondial n’ont pas toujours tiré sur la même corde pour ce qui concerne l’introduction de l’arbitrage vidéo. En 1990, Michel Platini entraîneur de l’équipe de France de football était encore pour l’introduction de l’arbitrage vidéo dans les compétitions majeures telles que la coupe du monde. Plusieurs années après, l’ex-président de l’UEFA devient le farouche opposant à l’introduction des technologies dans le football. Il disait ceci: «Je préfère l’humain à la technologie comme je préfère parler en face de quelqu’un plutôt qu’au téléphone. Je crois fermement que les yeux d’un arbitre voient des choses que ne peuvent apprécier les machines. Je ne me suis pas ouvert à la technologie sur la ligne de but, parce qu’ensuite on pourrait en arriver à la technologie pour les penaltys, le hors-jeu etc. ». Sepp Blatter, quant à lui, après quelques volte-face devient le grand promoteur de la technologie pour autant qu’elle soit prête. L’ancien patron de la FIFA a lancé la Goal-Line technology durant le mondial 2014 au Brésil.
En guise de rappel, la Goal-line technology est une technologie installée sur la ligne de but permettant d’indiquer à l’arbitre (à temps réel) si le ballon a franchi complètement la ligne de but ou non. La ligue 1 française l’a testée avec des résultats probants la saison dernière. L’avantage de cette technologie se situe dans le fait que l’arbitre reçoit immédiatement un signal sur sa montre une fois que le ballon franchit complètement la ligne de but. Il n’y a ici aucun arrêt de jeu avant l’intervention de l’arbitre pour valider un but. Platini et Blatter loin des sphères politiques du football, l’International Football Association Board (IFAB: instance qui détermine les règles du jeu du football) et Giovanni Infantino (nouveau président de la FIFA) valident l’intégration de l’arbitrage vidéo dans le football. Le test grandeur nature s’est effectué dans les matches de la coupe des Confédérations 2017 en Russie avec des résultats plus que mitigés ?
Durant cette coupe des Confédérations, l’introduction de cette vidéo a permis de corriger plusieurs décisions arbitrales. Nous constatons par contre que plusieurs arrêts de jeu sont observés le temps de visionner et d’interpréter les actions. Le couac le plus important reste celui survenu durant le match Cameroun-Allemagne. Pour une action banale au milieu de terrain méritant un carton jaune, l’arbitre a dû consulter deux fois la vidéo et changer 3 fois de décision. Les tergiversations ont duré en moyenne 2 minutes, cassé le jeu et laissé les joueurs, encadreurs et spectateurs dans une grande confusion.
Arrêts de jeu répétés
Chaque fois que l’arbitre demande l’assistance vidéo, il impose un arrêt de jeu. Ces interruptions de jeu engendrent également des interruptions des jubilations, du spectacle durant l’attente des décisions. Cela étant, en plus des arrêts de jeu qui surviennent pendant les matches, l’arbitre va imposer les siens pour consulter ses collègues de la cabine de visionnage. Ce qui coupe l’émotion, la spontanéité, bref ce qui gâche le spectacle en plus de rallonger le match.
L’injustice
L’injustice vient du fait que c’est l’arbitre qui décide de consulter la vidéo. Par conséquent, s’il se trompe lourdement et est convaincu du contraire, il ne fera pas appel à la vidéo. L’argument d’un football plus juste ne tient pas dans ce cas. Aussi, la vidéo est plus généralement consultée dans les surfaces lors des phases décisives. Si une faute cachée est commise au milieu du terrain et l’arbitre ne la voit pas, nul ne sait si cette dernière aurait annihilé une occasion de but. Une action banale peut très bien finir par un but. Pour quelle raison une faute serait considérée comme plus importante qu’une autre? En parlant de justice, on pourra évoquer le fait que cette technologie ne peut être installée que dans des stades modernes. Pour quelle raison le footballeur de l’ASHB sur le terrain d’Oron n’aurait pas droit au même football juste comme celui des compétitions huppées?
Interprétations différentes des fautes avec la vidéo
Tous les arbitres s’accordent sur ce sujet, l’interprétation d’une faute à vitesse réelle, diffère de celle qui est faite au chaud dans une cabine de visionnage avec des ralentis. L’arbitre du stade vit le match, il sent son match, il gère le match. L’arbitre du fameux match Cameroun-Allemagne avait d’ailleurs sorti un carton jaune pour sanctionner le joueur. La décision était crédible, sauf que la vidéo en a décidé autrement. Nous sommes partis d’une décision crédible à une situation rocambolesque déstabilisant les joueurs et l’arbitre. Au final, pour ces matches, qui a le leadership? Les arbitres sur le terrain ou ceux de la cabine?
Perte du pouvoir des arbitres sur le terrain
Avec cette nouvelle technologie, l’arbitre perd une partie de ses compétences, de son leadership. Si chaque fois qu’il y aura un doute, il faudrait faire appel à la précision des machines, les arbitres finiront par perdre ce qui les rend spéciaux. Ils finiront par perdre cette capacité de décider rapidement, en situation de stress, durant des moments complexes. C’est aussi ça qui rend certains arbitres meilleurs que d’autres Il est inéluctable que nous voulons tous un football juste sans tricherie. Mais cet arbitrage vidéo n’est pas encore au point. Elle a régulièrement cassé le spectacle, elle a fait perdre du temps et créer des polémiques au lieu d’en résoudre. En tant que fan de football, je donne un carton rouge à cet arbitrage vidéo.