De la non-intervention occidentale au Moyen-Orient
Laurent Vinatier | A vue de nez, au moins au Moyen-Orient, ce n’est pas la peine d’attendre davantage pour intervenir. Ce serait le moment maintenant, vraiment. Vu les chaos sécuritaires et catastrophes humaines en Iraq, en Syrie et à Gaza, où on déchaîne encore des violences sans nom, indiscriminées et fanatiques, il serait temps que les puissants pays de la planète, la plupart autour de l’Atlantique, rentrent de vacances et organisent quelques bombardements ciblés. Ce serait bien la moindre des choses pour ceux qui ont eu l’habitude jusqu’alors de jouer les gendarmes internationaux. En Syrie et en Iraq, l’ennemi a priori est connu. Frapper à la fois Bachar el-Assad et ces fous de l’Etat islamique, persuadés de reconstituer un Califat, permettraient d’épargner un bon nombre de civils, qui sinon périront soit sous l’effet d’armes chimiques soit sous les coups de l’intolérance religieuse. Pour Gaza, un peu de fermeté diplomatique et politique à l’égard d’Israël suffirait même.
Il n’en sera rien, vraisemblablement. Pour tout un tas de raisons, toutes intelligentes mais assez peu morales, surtout cyniques en vérité. Vu d’Occident, cette situation à feu à sang n’a pas que des inconvénients. Il est plutôt bienvenu en Syrie et en Iraq par exemple que le Hezbollah irano-libanais, les Islamistes radicaux, y compris ceux du Califat d’Iraq, Bashar el-Assad et les Kurdes s’entre-tuent et auto-annihilent allègrement. Plus le conflit doit durer, plus ces forces hostiles aux Occidentaux s’affaibliront. Moins les volontaires djihadistes venus d’Europe reviendront par chez nous, en moindre grande quantité en tout cas. Le même scénario se rejoue actuellement en Libye. Sur Gaza, de même: les Israéliens qui sont allés trop loin perdent de leur stature internationale tout en déstructurant le Hamas. Il ne s’agit plus alors dans les chancelleries occidentales que de circonscrire cet affrontement entre leurs ennemis objectifs, de faire en sorte que surtout ces carnages salutaires ne débordent pas trop sur le Golfe, l’Iran, l’Egypte et le Maghreb.
Au-delà de ces aspects stratégiques très réalistes, ce retrait occidental fait figure de désengagement international. Tout se passe comme si nous renoncions à ce rôle de gendarme du monde. Et pourquoi pas en effet? Pourquoi reviendrait-il aux Occidentaux finalement de supporter les fardeaux sécuritaires du monde, d’assumer des coûts non seulement financiers mais aussi humains, de prendre le risque de l’engagement avec toutes les conséquences que cela peut avoir en retour, chez nous, à l’instar du 11 septembre aux Etats-Unis? Contre la non-intervention, nous pourrions arguer d’une obligation morale, celle par exemple que l’ONU a théorisée sous le vocable de «responsabilité de protéger». Ce qui revient en fait à reconnaître à certaines puissances du monde une supériorité culturelle ou de civilisation, les autorisant à montrer le chemin aux «barbares» qui continuent de se massacrer. C’est une position assez délicate en vérité. En faveur de l’engagement, il faut plutôt regarder du côté de l’épidémie d’Ebola et de l’Ukraine… Le premier cas dénote qu’on ne devrait pas faire totalement confiance aux frontières et qu’un fléau respecte peu les découpages administratifs nationaux. Le second indique que les crises se rapprochent dangereusement…